Ma finitude.
Ta finitude.
Je dois la verbaliser, pour mieux l’extirper de chacune de mes pensées.
Oui, je vais mourir, un jour, je ne sais pas quand.
« Quand » a énormément d’importance, et pourtant, c’est inexorable, il n’y a pas de sujet, je vais mourir, tu vas mourir.
C’est atroce.
Comment accepter cela ?
Pas accepter le quand, que j’ai la chance de ne pas encore connaître, mais comment accepter que je vais mourir avec certitude, que tu vas mourir avec certitude ?
Pourquoi faut-il mettre à distance cette réalité, la poser sur un établi et l’explorer ?
Parce que c’est elle qui me fait surmanger, ou plus exactement, une forme de déni conduit à y penser en permanence.
Le phénomène est connu : si l’on vous dit « Ne pensez surtout pas à l’ours blanc !!! », vous y pensez en permanence.
Je fais ça avec ma propre finitude, et la tienne, les deux seules qui me sont insoutenables.
Pour mon obésité :
- Le problème qui voudrait que j’aie un estomac distendu ou bien un tissu trop élastique à cet endroit est résolu. C’est non. La sleeve m’a certes fait gagner 5 à 6 ans pendant lesquels j’ai cessé d’être obèse, mais ensuite, le naturel est revenu au galop. Or, ce n’est pas l’estomac qui se serait re-distendu : je bloque toujours à un repas du type entrée – plat – dessert, repas qui serait passé tout seul avant la sleeve. J’ai regrossi parce que je grignote, il faut trouver pourquoi je grignote.
- Le problème est peut-être insoluble. Mais j’ai encore envie d’essayer des trucs.
- Il n’y a pour l’instant pas de coupe-faim miracle… Je caresse le rêve que ce soit pour bientôt, avec une éventuelle mise sur le marché en France d’un anti-diabétique autorisé aux obèses et qui ferait perdre une quinzaine de kilos sans chirurgie. La question resterait cependant « Sera-ce suffisant à vie » ?
- La pleine conscience à tout bout de champ préconisée par les psycho-thérapeutes d’aujourd’hui ne tient pas la route. Elle ne me fait rigoureusement rien. Dieu sait que j’ai cru en vous, Zermati, Apfeldorfer, mais non, rien n’y fait. Ca ne fonctionne pas.
Alors j’essaie de faire de la recherche sur ma propre personne et de poser ici mes réflexions.
Je remarque que si je pense très concrètement à ma mort, à ta mort, je mange dans le calme, sans compulsion, sans précipitation, juste pour tenir jusqu’au prochain repas, comme un jalon qui trace ma vie.
Ma psychiatre m’a dit une fois « Et à quoi bon penser à la mort, quand elle n’est pas imminente ? Ca ne présente aucun intérêt ! »
Je ne lui ai pas répondu, car j’étais très surprise de sa remarque, que je trouvais totalement infondée sans pouvoir dire pourquoi.
Et si je lui disais « Parce que ça me permet de ne pas faire de crise d’hyperphagie ? ».
Je vais essayer un truc très concret : tous les jours, faire un petit haïku (free style) sur ma ou ta finitude ? Et observer ce qui se passe sur le moyen terme.
Mon haïku d’aujourd’hui :
Tu mourras un jour
Quel jour, quelles circonstances ?
Questions naïves
Jeudi
Papa gisait là, bouche bée,
Comme s’il s’était endormi
Devant le film de trop
Vendredi
Maurice mon grand-père avait dit à sa famille : « Si je meurs, et qu’il y a un au-delà, promis, je vous fais un signe. » J’imagine son œil qui frise, et je me dis aujourd’hui qu’il était athée. Quelle phrase amusante ! Mais sa famille n’ a jamais reçu un truc du genre : « Mes chéris, je vais très bien, même si je suis un peu mort. Le paradis est très surfait, la parole n’y est guère libre et on s’y emmerde à jamais, Maurice. »